735 km en 6 jours de Léopoldville à Coquilhatville.
Extrait du journal de Victor :
Mon séjour dans la capitale est terminé. Lundi 11 janvier 1937 à 8h00 du matin je m’embarque à bord du vapeur sw Micheline, bateau courrier à fond plat avec roue à larges palettes à l’arrière. Le dispositif permet de passer même aux eaux basses. Le port de Léo digne pendant de Matadi est vraiment impressionnant. Les quais s’étendant sur plusieurs kilomètres et en face, Brazzaville est bien petit.
Le bateau courrier sw Micheline pret à remonter le fleuve Congo sur 735 km.
Lundi 11 janvier 1937
Nous sommes bientôt dans le Pool, 20 km de largeur et pendant plusieurs heures nous ne voyons que de petites îles mais pas les rives. Enfin dans l’après-midi nous entrons dans le chenal. Oh, ce n’est qu’un chenal, seulement il faudra deux jours de navigation pour le franchir. Les rives se sont relevées, succession de collines et le fleuve n’a plus que 500 à 620 m de largeur. Notre voyage se poursuit dans l’obscurité et c’est un vrai spectacle de voir tout à coup le projecteur lancer un faisceau de lumière et éclairer tout un coin de la rive à l’avant du navire. Un membre de l’équipage à gauche et à droite armés d’une longue perche graduée, ils piquent alternativement dans l’eau et annonce la profondeur. La lueur d’un feu brille au loin, on braque le projecteur dans cette direction et en avant. Nous y voici, deux indigènes, chacun muni d’un câble se jettent à l’eau et nagent vigoureusement vers la rive. Ils prennent pied, fixent les câbles et le navire accoste. C’est un poste à bois, aussi commence t’on l’approvisionnement du bateau.
Mardi 12 janvier 1937
Nous nous sommes remis en route à l’aube alors que je dormais encore. Dans la matinée nous arrivons à Kwamouth. Petit arrêt pour déposer le courrier. Les gosses du patelin en profitent pour venir nous présenter des bateaux et des avions de leur fabrication. La reproduction est frappante et pourtant ils n’ont d’autres matériaux que du bois, des fibres et un vieux couteau émoussé.
La situation de Kwamouth est remarquable mais hélas sous un climat infect. Situé au confluent du Kwa et du Congo, le site rappelle d’une façon frappante un coin d’Allemagne. Il ya 6 mois lors de mon exploration de l’Allemagne National-Socialiste j’étais, le 20 juillet 1936, à Koblenz où le Moselle se jette dans le Rhin, la ressemblance est frappante y compris la couleur de l’eau.
En route….. mais que ce passe-t-il ? Le navire donne l’impression de ne plus avancer ! Nous apprenons bientôt qu’un tuyau a crevé et que nous essayons d’atteindre Tshumbiri au ralenti. Vers 5h00 nous sommes arrivés au poste. Petite promenade à terre. Toute la nuit on répare.
Poste à bois sur les berges du fleuve Congo.
Celui-ci est géré par la société de transport OTRACO.
Les gosses viennent barboter autours du Micheline,
Nous sommes à Tshumbiri poste Protestant de l’ABNU.
Mercredi 13 janvier
Au matin, alors que nous allions partir, nouvelle crevaison. Quelle tuile ! Il faut éteindre les feux, laissé refroidir les chaudières et recommencer. Heureusement à bord du bateau la chair est bonne et le service bien fait. Nous avons un couple d’Américain à bord et mêmes ceux-là sont épatés de tant de confort à bord. Où va l’Afrique ?
Dans l’après-midi petit divertissement. L’agent de l’état vient d’arriver avec le chef coutumier de la région accompagné de ses femmes. Ils viennent percevoir l’impôt et rendre justice.
Jeudi 14 janvier 1937
Nous sommes toujours en panne. Les gosses viennent barboter autour du navire et demander qu’on leur jette des petites choses. Il faut les voir plonger tous ensemble, que ce soit pièce de monnaie, bonbon ou bouteille. Chose curieuse aussitôt qu’un d’entre eux a touché l’objet il en est propriétaire et la mêlée est finie. A midi nous reprenons notre route et le soir nous voilà à Bolobo. Poste bien installé et jadis grand marché d’ivoire travaillé. Aujourd’hui Bolobo est réputé pour ces meubles rotins. Fauteuils, tables etc… aussi tous les coloniaux qui débutent leur terme et qui sont de passage à Bolobo achètent ici. Un fauteuil vaut 5 frs, une table 7,50 frs, une selle d’artiste 3 frs.
Achat de meubles à Bolobo.
Bolobo est réputé pour son marché de meubles en rotin.
Encore un poste à bois le long du fleuve.
Le transport fluvial exige un apport continu de bois.
Et on parle de vie chère au Congo !
Malheureusement la vente de l’ivoire est interdite. Mais vous connaissez les belges, les noirs sont leurs élèves, le soir nous nous rendons à trois au village et nous achetons ce que nous voulons au nez et à la barbe de l’AUTORITÉ.
Vendredi 15 janvier 1937
Le parcours de Bolobo à Lukolela est sans histoire.
Nous sommes dans la cuvette centrale et le fleuve y est large de 30 kms au moins. Seulement il est parsemé d’îles ce qui fait que nous avons toujours l’impression de voir les deux rives.
A bord du Micheline j’ai fait connaissance de Monsieur Delmarche, Agent de la Compagnie du Kasaï à Lisala, c’est l’ancien chef de clan des Scouts Marins de Bruxelles.
Delmarche & de Caluwé à bord du Micheline.
Deux chefs scouts de Bruxelles se retrouvent sous les tropiques.
Le trafic fluvial bat son plein sur le Congo.
Des trains de barges croisent régulièrement le route du Micheline..
Samedi 16 janvier 1937
Toujours le fleuve, toujours le même décor. Je voudrais vous donner une image du paysage. Voyons, représentez-vous la perspective des 4 bras au château de Tervueren, avenue très large limitée de chaque côté par une muraille de verdure. Remplacer la terre par de l’eau et imaginez-vous sur un des chenaux entre les îles.
Ce soir j’arrive au terme de mon voyage et je vais quitter mes derniers compagnons de l’Anversville. 9h00 du soir, toujours à la lumière du projecteur, repérant les signaux du service de balisage, nous continuons vers Coquilhatville. Voici sur la rive gauche, à droite pour nous, de nombreuses lumières, c’est Wendji, le bateau passe et vers 11h00 nous arrivons à Coq.
Là également le gérant de la SECLI, Mr Halleux m’attend, s’occupe de mes bagages, me conduit à l’hôtel et passe encore une couple d’heure en ma compagnie à bavarder d’un tas de choses.
Dimanche 17 janvier 1937
Je déjeune chez monsieur Halleux et vers 8h30 le directeur de la SECLI fait son apparition. Il se nomme Mr Junot, est très grand et est suisse. Ensuite c’est au tour du chef comptable, Mr Leutard, il est plutôt petit et gros. Mes bagages sont embarqués dans le camion et moi dans une voiture et en route pour Wendji.
A Wendji, nouvelle présentation. Monsieur Higot, l’homme que je vais remplacer, une bonne balle et une bedaine, la mine réjouie, il n’a vraiment pas l’air de se ressentir des 4 années qu’il vient de passer ici. Monsieur Geurts, jeune gaillard sympathique, premier terme comme moi, il y a deux mois qu’il est ici. C’est lui qui m’invite à diner et qui m’a déniché un cuisinier et un boy de maison. J’examine les deux gaillards et les engage. Le premier à raison de 3,50 frs par jour et le second 2 frs pars jours. L’après-midi se passe à faire mon installation et c’est seulement maintenant que tout est en ordre que j’ai vraiment conscience d’être ici, en Afrique, pour 3 ans.
Lundi 18 janvier 1937
Fini le beau voyage ? A 5h15 du matin la sirène de la centrale électrique me réveille. Il fait presque nuit encore et je procède à ma toilette à la lumière de l’éclairage électrique. 6h00 du matin, me voici au magasin général. Vastes hangars où sont stockées les marchandises qui alimentent tous les comptoirs de l’intérieur, une vingtaine, j’en aurai probablement la gestion. Après la visite des lieux je suis mis à l’ouvrage. Ma première besogne consiste à faire tous les calculs, à la machine, de l’inventaire. Je trouve ça parfaitement rasant !
Le quartier des ouvriers à Wendji.
L’entré de Wendji en venant de Coquilhatville.
La Centrale Electrique de la SECLI à Wendji.
Vue en aval du fleuve, les installations de la SECLI.
Vue en amont, les ateliers et chantier naval de la SECLI.
A 20 km en amont de Wendji se trouve Coquilhatville.
Les ouvriers de la SECLI au travail sur le chantier navaL
La mise à sec du sw WENDJI.
Une partie de la flotte de la SECLI, en avant plan le KOLI-KOLI suivi du IKELEMBA.
Mardi 19 janvier 1937
Je suis décidément dans l’engrenage et j’ai l’impression que seuls mes moments de loisirs vaudront encore la peine d’être notés. Vers 5h00 de l’après-midi notre directeur, Mr Junot, un suisse d’une quarantaine d’années, grand, mince, nerveux et ayant des sautes d’humeur terribles – que voulez-vous il a 17 ans d’Afrique – m’invite à venir prendre l’apéritif. Le bâtiment de la direction est presque un château et comporte tous les raffinements de la vie en Europe.
Le bâtiment de la direction. La SECLI est bien installé à Wendji.
Présentation à Mme Junot, ils ne sont mariés que depuis 1 an, personne relativement jeune et d’un caractère très aimable. Elle exerce parait-il la plus heureuse influence sur son mari. Nous faisons plus amplement connaissance et ce que l’on m’avait dit de lui se confirme. Très gentil en dehors du service mais très personnel et jaloux de son autorité dès qu’il est question de travail. Après le souper je rejoins Geurts et Higot avec lesquels je m’entends décidément très bien. Il est vrai que nous sommes les 3 célibataires du poste.
Mercredi 20 janvier 1937
Première leçon de Bangala. A propos de cette langue un fait à souligner. Les missionnaires se sont évertués à rédiger une grammaire et un vocabulaire mais les indigènes s’en fichent comme de leur première chemise. Entre eux ils parlent un patois que je suis obligé d’apprendre sans l’aide d’aucun bouquin.
Jeudi 21 janvier 1937
Rien à signaler. Je m’applique à me mettre au courant.
Vendredi 22 janvier 1937
La cuisine est un de mes plus gros soucis. Pour mon diner j’ai acheté un poisson qui se nomme ‘capitaine’, il m’a coûté 5 frs et pèse la bagatelle de 6 kg.
Lundi 25 janvier 1937
Je viens de faire l’acquisition d’un petit singe, il m’a couté 10 frs. C’est un amour et est très amusant, je l’ai nommé BAMBO.
Jean le cuisinier et Paul le Boy maison avec Bambo.
Léon Geurts avec Bambo et Victor de Caluwé.
N’oublions pas les 2 boys que Léon Geurts m’a présenté lors de mon arrivée. Le plus grand est mon cuisinier, il s’appelle Jean et c’est un beau Congolais. Le plus petit, avec Bambo sur le bras, est mon boy moké, il se nomme Paul.
Mercredi 27 janvier
Ce soir je n’ai pas pu m’empêcher de sourire à toutes les fausses idées que l’on nourrit en Europe au sujet du Congo. Je suis assis à la terrasse de ma maison en compagnie de monsieur Higot, celui que je vais remplacer, occupé de déguster un bon demi Stout glacé et de délicieuses crevettes fraîches (d’eau douce).
Il n’y a rien de mieux en Belgique.